HORTI+ 03 : Développement durable aux Philippines

Article par Clément JACQUOT, le directeur de BIOGROW Philippines :

Biogrow est une entreprise française qui produit des substrats à base de tourbe de coco au Sri Lanka, en Inde et au Brésil. A l’origine, la maison mère, VILA Sarl, est basé à perpignan et l’activité historique du groupe est la production de tomates et autres légumes sous serres, en hydroponie. Il y a 25 ans, après avoir étudié longuement le sujet, il a été décidé de lancer une activité de production de substrats écologiques et renouvelables à base de tourbe de coco afin de remplacer les substrats utilisés jusque-là à base de tourbe originaire des pays d’Europe du Nord (Finlande, Estonie, etc..). Les tourbières étant un important puit de carbone non renouvelable à protéger absolument, il était urgent de développer des alternatives.

Depuis les professionnels de l’horticulture se sont majoritairement convertis au coco (cocopeat en anglais) et la part de la culture sous serre s’est nettement développé dans le monde grâce à ses avantages considérables : rendement supérieurs, 95% de réduction du besoin en eau, abandon quasi complet des pesticides, nette réduction des intrants chimiques, et une période de culture allongée. De fait, lorsqu’il y a 25ans Biogrow ne fournissait que les besoins propres de la maison mère et de quelques autres producteurs voisins, nous exportons maintenant dans une cinquantaine de pays, et tous les ans notre croissance n’est limitée que par nos capacités de productions.

Face à ce constat, J’ai commencé à prospecter aux Philippines en 2018. Ayant eu une expérience professionnelle ici en 2014-2015 pour l’installation d’une cimenterie à Antipolo, je connaissais le potentiel en noix de coco du pays. Les philippines sont le no.2 mondial pour la production de coco, mais l’industrie de la transformation de la coque en fibre et cocopeat y est quasi inexistant en comparaison. On estime que 90 à 95% des coques du pays sont considérées comme des déchets. Elles sont abandonnées dans les plantations et finissent souvent dans les cours d’eau, créant des barrages favorisant les inondations. Dans le meilleur des cas elles sont brulées comme fuel pour cuisiner (dans la région principalement pour faire des Bibingka).

Pour accompagner notre projet d’usine, nous avons aussi très vite fait le choix de le faire de manière durable, en nous appuyant sur les communautés locales, à l’instar du travail que nous avons toujours fait au Sri Lanka et en Inde de façon ponctuelle. Cette fois nous avons conçu un programme ambitieux de développement durable en partenariat avec une ONG locale IRDF (Integrated Rurale Development Foundation) et la fondation française Livelihoods. Le but étant alors de réussir à rassembler jusqu’à 3000 petits agriculteurs producteurs de noix de coco de s’organiser en coopératives, afin de pouvoir investir dans de petites machines basiques pour commencer à transformer les coques et ainsi pouvoir fournir Biogrow. La plupart d’entre eux vivent largement sous le seuil de pauvreté et la moyenne se situe souvent autour de 60 ans, les jeunes préférant partir à la ville trouver du travail. Il y a donc fort à faire pour créer des emplois stables et rémunérateurs dans ces régions. Ce qui colle très bien avec notre activité. Nos usines sont toujours au plus proches des zones productrices de coco et nous savons qu’en plus des potentiels 200 employés directs que nous pouvons recruter, c’est tout un tissu agro-industriel qui se forme autour de nos usines avec le temps, créant ainsi des milliers d’emplois indirects.

En fin 2018, je présentais donc ce projet complet à la fois à ma direction mais aussi à DANIDA (l’agence gouvernementale danoise en charge du développement durable). Tout le monde s’est rapidement montré très intéressé par le potentiel et les impacts du projet. Et après quelques mois pour raffiner nos propositions, tous les feux étaient au vert. DANIDA nous a accordé 1Million d’euros sur 4 ans pour lancer le projet en créant un centre de formation où nous faisons la démonstrations des technologies (souvent low tech) et des savoirs que nous avons développés depuis 25ans. C’est donc une opportunité unique de pratiquer un transfert de technologie depuis le Sri Lanka et l’Inde vers les Philippines. Les « élèves » auront donc l’occasion d’opérer ces machines, de les réparer mais aussi de construire un Business Plan autour afin qu’il puisse reproduire l’expérience dans leurs coopératives ou bien en créant leur propre business.

Fin 2019 Biogrow Substrates Philippines était née et j’emménageais à Davao avec ma femme, chinoise, qui rejoignait Biogrow par la même occasion pour développer notre marché en Chine.

Evidemment la pandémie début 2020 a compliqué les choses sur tous les plans avec des lockdowns stricts compromettant un peu notre avancement. Mais nous étions là et il n’était pas question de faire marche arrière et donc j’ai mis à profit les moments de quarantaines pour dessiner les plans de l’usine avant même qu’on ne trouve un terrain, faute de pouvoir aller les visiter. De son côté, ma femme a été bloqué en Chine pendant 9 mois, et c’est finalement grâce au lobbying de la Chambre de Commerce Européenne que nous avons pu lui obtenir un Visa et un laisser passer auprès du Dept of Foreign Affairs. L’aide de ECCP fut par ailleurs tout aussi importante lors de notre achat de terrain et de toute la phase administrative pour faire exister notre entreprise et la doter des permis et licences requis.

Fin 2020, nous avions donc 3 employés, un existence légale complète incluant l’inscription au BOI, le permis environnemental, une licence d’import et d’export, et un terrain de 6.5 hectares (un ancien moulin à huile de coco abandonné depuis 20ans mais avec des bâtiments qui tenaient encore debout malgré les tremblements de terre répétitifs de l’année passée). Une bonne base pour lancer des demandes de permis de construire, commencer les achats de machines à importer depuis différents pays. Après quelques mois de bataille pour obtenir l’électricité sans payer aucun centime en dessous-de-table, nous avons commencé des travaux de réfection et dès que nos permis de construire ont été approuvés en Mars 2021, nous avons pu commencer de nouveaux bâtiments dans notre usine ainsi que notre centre de formation. En parallèle, nous avons réussi à lancer une petite production après réception de nos premières machines dès Avril/Mai afin de former mes nouveaux employés et tester les possibilités d’approvisionnement mais aussi de rapidement engager nos coopératives dans des partenariats commerciaux après 2 ans de préparation théorique. Tout le monde était vraiment dans l’attente de commencer le plus rapidement possible une activité économique ! Grace à ça nous avons réussi à exporter notre premier container de test vers la Chine en Aout 2020. C’était une étape importante pour tout le monde qui a validé que c’était possible : faire des substrats de coco au Philippines. De nombreux de nos concurrents s’y été cassé les dents au cours de la dernière décennie, faute de climats différents, de difficultés administratives, de manque d’infrastructures, etc… Même le gouvernement a mené de nombreux programmes à travers le PCA et le DTI pour transformer les coques depuis 15ans, mais avec des résultats très très mitigés.

Fin 2021 nous avons donc 40 employés. Tous nos bâtiments sont finis mais quelques travaux d’extérieurs persistent. Nous avons places des machines auprès de 5 cooperatives qui nous fournissent en matière pré-transformées et achetons des coques auprès de centaines de petits producteurs de coco. Nous avons réussi à sortir 10 containers sur les derniers mois de l’année dont un pour un client à Manille : une première aussi pour Biogrow qui n’avait jamais vendu au Philippines. Mais évidemment notre but est d’exporter 95% de notre production sur le marché d’Asie de l’Est :

Chine, Corée du Sud, Japon, mais aussi Australie et Nouvelle Zélande. Nos produits restants agricoles, et à faible valeur ajoutée, le fret est une part importante du cout et depuis la pandémie les prix vers l’Europe et ou l’Amérique ont rendu ces marchés complètement inaccessibles. Mais le marché chinois étant en plein essors, nous savons être en bonne position malgré les difficultés actuelles. L’objectif pour 2022 est de produire une centaine de containers tout en continuant à développer nos coopératives partenaires, avec, nous l’espérons, l’aide des programmes gouvernementaux RAPID et PRDP en discussion depuis 2 ans avec DTI and DA pour lesquels nous avons été sélectionnés comme Anchor Firm pour le secteur de la Coco. L’avenir s’annonce donc radieux sous le soleil des Philippines et notre but de créer une nouvelle économie durable à l’échelle régionale (Davao Del Sur, Davao Occidental, Sarangani, North Cotabato) est sur la bonne voie.